Pour cette saison 2016-2017, le Bistrot des Ethnologues s’engage dans un cycle de décryptages de situations de conflits. Il sera tout d’abord question de révolte et de création littéraire avec Alban Bensa et les kanaks qui refusèrent de se laisser prendre dans « les noeuds de la guerre » des colons, il y a de cela un siècle. A la veille du référendum pour l’autonomie de la Nouvelle Calédonie (prévu d’ici 2018), le Bistrot des Ethnologues poursuivra cette immersion en pays kanak avec Michel Naepels qui éclairera les logiques d’actions autochtones et (post-)coloniales présidant aux mobilisations actuelles autour de la question indépendantiste.
L’apaisement n’est pas toujours le signe d’une annulation du conflit et nécessite au contraire d’apprendre à « vivre avec ». C’est ce que le film A place for everyone de Hans Ulrich Gössl laisse entrevoir en filmant comment, dans un contexte de reconstruction sociale et familiale au Rwanda, il s’insinue dans les postures et sentiments du quotidien.
Alors, que peut l’ethnologie dans ce contexte de relations antagonistes ? En tant que science humaine qui place au coeur de sa méthodologie d’enquête l’empathie, l’ethnologie peut, selon Omar Zanna, nous enseigner comment cette appétence, si décisive dans les relations aux autres, pourrait être « éduquée » par des postures corporelles. Mais la relation à l’Autre n’est jamais uniquement le fait d’individus indépendants et s’opère bien souvent par l’entremise de médias et de représentations déformées ou déformantes de cet « autre ». Jeanne Favret-Saada qui a étudié une série d’affaires de blasphèmes sur une quarantaine d’années esquissera les fondements artistiques et politiques d’un objet mal identifié en sciences humaines, qui nous est pourtant si familier. Ce sont aussi les mots, les noms des gens qui, articulés avec un seul angle de vue médiatique, conduisent à des mésententes, des « impossibilités » de discerner l’humanité d’un peuple. Dans cette optique, Martin Olivera reviendra sur le destin politique du terme Rom en Europe.
Nous aurons aussi à réfléchir sur les méthodes d’investigations de l’ethnologie en contexte inhospitalier. Yasmine Bouagga et Lisa Mandel font advenir le dessin dans la démarche d’enquête ethnographique, comme complice d’une écriture réaliste du quotidien d’un terrain d’enquête en cours de démantèlement, à savoir la sinistre « jungle » de Calais, dont le nom lui-même convoque le fameux partage entre « nature » et « culture ». C’est Pierre Charbonnier qui sera notre guide pour nous éclairer sur l’épistémologie et la philosophie sous-jacente à ce conflit « originel » (Nature / Société) qui a profondément marqué l’occident mais aussi, bien entendu, l’ethnologie. Agnès Fine et Jérôme Couduriès iront, dans le prolongement de ces interrogations, questionner les nouvelles formes d’homoparentalités dont les oppositions les plus farouches ont puisé dans ce registre classique de l’« incompatibilité » avec la « logique de la nature » en matière de reproduction. Cette question rejoint sous certains aspects celle des affinités électives et affectives que décrypte Pierre-Yves Wauthier à travers une immersion dans l’ambiance du speed dating et des agences de rencontres qui répondent à une demande sociale construite autour d’une idée préconçue du « couple idéal ». C’est donc la question du changement inéluctable mais parfois difficile à accepter et à appréhender qui s’ébauche à travers l’ensemble de ces approches. Gérémia Commetti illustrera la manière dont les Q’eros des Andes péruviennes interprètent et s’adaptent au changement climatique. Tandis que Nicole Coulomb et Clément Gauthier nous feront revivre le patrimoine chanté du Mont Lozère, jadis instrument de résistance au changement et aujourd’hui sauvé de l’oubli par un travail ethnographique minutieux et vivant.
Gaëlla LOISEAU
Présidente de l’ARCE / Bistrot des Ethnologues
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