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Edito 2023-2024

30 ans de « fenêtres ouvertes » au Bistrot des Ethnologues

 

Nous entrons dans la 30ème édition du Bistrot des Ethnologues ; on serait tenté, à ce compte-là, de parler d’institution mais c’est précisément l’inverse que le Bistrot souhaite incarner. Une position intermédiaire à réinventer sans cesse entre l’académie et la cité, soit une fenêtre que l’on maintient bien ouverte pour que l’ethnographie ne soit pas confinée à une quelconque « cuisine interne », pour que l’ethnologie infuse son approche critique dans le social et que les grands noms de notre discipline trouvent au Bistrot une convivialité propice à l’échange avec le grand public.

La quête du Bistrot a en effet d’abord été celle de son public, lui-même souvent en proie à une forme de fascination faisant écho à l’image exotisante que les termes mêmes d’ethnologie et d’anthropologie continuent de refléter. Il s’agissait d’attirer « des gens très humbles qui ne soient pas effrayés »1 par les codes et les mythes qui auréolent les sphères de la connaissance, comme le soulignait en ce début d’année 2023 l’ethnologue et fondateur du Bistrot Maurice Duval, au micro d’Anaïs Vaillant. Le dispositif convivial, feutré et agrémenté de quelques tactiques pour favoriser les prises de paroles après les présentations par les auteurs a véritablement forgé l’identité du Bistrot des Ethnologues. Ainsi Maurice Duval raconte qu’il faisait circuler des corbeilles pour que les gens formulent leurs questions sur des papiers. L’histoire du Bistrot est aussi, on l’a trop peu dit, une histoire de dissidence vis-à-vis du milieu académique local. Le département d’anthropologie de Montpellier a en effet été largement discrédité de par les idéologies coloniales qui y ont été véhiculées jusque dans les années 1990. Cette histoire académique sulfureuse a participé, à son insu, à l’histoire du Bistrot des Ethnologues qui a incarné dès sa création en 1994 la fenêtre d’ouverture régionale vers une anthropologie sociale et culturelle critique. Les soutiens institutionnels des affaires culturelles et du département obtenus grâce à l’appui des ethnologues Christian Jacquelin et Richard Lauraire – qui avaient eux-mêmes tourné le dos au milieu universitaire local pour trouver leur place dans ces institutions – ont largement contribué à forger la notoriété locale et nationale du Bistrot des Ethnologues. Et puis les années 1990 ont vu émerger à Montpellier un florilège de « café à thèmes », il fallait être au bon endroit pour se faire connaître : le
Sax’aphone a été le lieu emblématique du Bistrot jusqu’à sa fermeture qui a contraint ce dernier à trouver de nouveaux refuges pendant de nombreuses années, dans les différents troquets de la ville tels que le Black Sheep, La Laiterie ou le Gazette Café pour n’en citer que quelques-uns. Pour nos trente ans nous trinquerons encore et encore au succès sans cesse renouvelé de la rencontre jamais acquise entre ce fameux « grand public » et les « grands noms » de
l’anthropologie française contemporaine, à laquelle le Bistrot des Ethnologues est voué.

Les séances « hors les murs » que nous avons instaurées à partir de 2015 ont façonné une mosaïque d’audiences nouvelles dans des lieux qui font sens au regard des thématiques abordées. Les thermes de Balaruc-les-Bains ou la cave coopérative de Montpeyroux ont ainsi accueilli en 2015 et 2016 des restitutions d’enquêtes sur le travail mené dans ces lieux. Et nous sommes aussi partis en balades en compagnie d’ethnobotanistes dans les Cévennes et au jardin des plantes de Montpellier. Ces séances ont également amené une diversification de nos partenaires qui ont contribué à un nouveau rayonnement du Bistrot, grâce à la médiathèque de Gignac, au musée de Millau, ou plus récemment au musée de la mer à Sète, mais aussi aux librairies La Cavale à Montpellier et La Bestiole à Viols-le-Fort. L’épreuve du Covid surmontée grâce à la visio-conférence a réactualisé cette histoire de la facilitation des prises de paroles et la formulation de questions par le public, tout en nous exposant aussi à quelques trolls malveillants pour certaines séances « choisies », à savoir celles portants sur les questions de race et de racisme. Enfin, des formats créatifs ont été accueillis au fil des ans à travers la conférence gesticulée, le webdocumentaire, la bande dessinée ou la photographie. Cette trentième édition ne sera pas en reste au regard de nos objectifs de diversification des terrains, des publics et des partenaires. Nous démarrerons avec un questionnement sur les pratiques et approches croisées entre les arts de la rue et
l’anthropologie, en partenariat avec l’Université Buissonnière des Arts de la Rue. Comment notre discipline participe-t-elle et de quelles manières aux processus créatifs à l’œuvre dans les arts de la rue ? Cette séance animée par Anaïs Vaillant, elle-même ethnologue et musicienne, permettra de croiser les expériences de Valentina Santoroni du Collectif Protocole, de Périne Faivre de la Compagnie Les Arts Oseurs, et de Marion Raievski et Mickaël Théodore de la Compagnie Sputnik. Nous approfondirons cette mise en perspective de l’esthétique à travers l’approche innovante portée par Anne Varichon – membre active du Bistrot des Ethnologues depuis de nombreuses années – qui s’intéresse à un objet peu commun en anthropologie et pourtant si présent dans nos quotidiens : celui du nuancier de couleurs dont l’histoire sera dévoilée par notre invitée. Sorte d’impensé anthropologique, le séquençage de la couleur a pourtant bel et bien façonné toutes les nuances de qualification des altérités. Cette séance prendra également une coloration locale puisque nous inaugurerons à cette occasion un partenariat avec l’Agora des Savoirs de la ville de Montpellier. En s’interrogeant sur comment il est possible de raconter le réel en anthropologie sans en atténuer sa dimension sensible, nous nous rapprocherons de la photographie qui a toujours accompagné les pratiques des chercheurs impliqués sur le terrain. A travers le cas d’un quartier emblématique de la banlieue et de ses stigmates anxiogènes, Camillo Léon-Quijano parvient à créer une œuvre ethno-photographique à travers laquelle les habitants de Sarcelle se racontent à contrecourant des imaginaires produits sur eux par les médias. Cette année nous renouons aussi avec le film ethnographique à travers l’œuvre magistrale de l’ethnologue et réalisatrice Giulia Angrisani et du réalisateur Mattia Petullà, Terra in Vista – sélectionnée par le Comité du Film Ethnographique qui organise le Festival Jean Rouch, avec qui nous avons organisé durant de longues années des projections-débat en partenariat avec le cinéma Nestor Burma à Montpellier. Ce film est une immersion brute, emplie de justesse et de poésie, dans le quotidien de travailleur.e.s saisonnier.e.s en agriculture. Entre le campement rudimentaire et la dure vie du travail dans les champs, le film s’empare des moments de latence, de flottement où s’immergent les doutes existentiels qui accompagnent toute vie humaine précaire, et en font l’une de ses principales richesses. Cette rudesse des mondes agricoles nous conduira à reprendre la route vers le Larzac et le musée de Millau pour ressentir au plus près des éleveurs, sous l’éclairage de Charles Stépanoff, les tensions et controverses actuelles suscitées par les conscientisations autour des rapports de prédation, de domestication et les liens affectifs noués avec les animaux. Les humains entre eux sont-ils exempts de
ces logiques d’apprivoisement des corps ? Aurore Koechlin viendra nous rappeler à quel point la « norme gynécologique » reste une exception dans le monde médical, s’intéressant non pas à une partie du corps humain, mais bien plutôt au corps social et culturel des femmes, appréhendé à partir de sa fonctionnalité reproductive. Et puis, ce sont aussi d’autres corps parmi les humains, des corps si altérés et altérisés qu’ils se voient sanctionnés par une exclusion de toute vie sexuelle. Le travail du sexe a trouvé ses lettres de noblesse en redonnant leur dignité à ces corps-là. Nous verrons, avec Pierre Brasseur, comment s’est constitué l’histoire et la sociologie de l’assistance sexuelle qui devient un véritable enjeu de santé publique en France et ailleurs. Cette question du travail du sexe reviendra comme un boomerang dans la journée offerte à Alain Tarrius depuis son village natal de Cerbère, où il sera mis à l’honneur à travers ses travaux sur les espaces transfrontaliers, sur les circulations des femmes, des marchandises et des « fourmis de la mondialisation » franchissant les frontières pour développer une économie du poor-to-poor. Cette séance sera l’occasion d’inaugurer un nouveau partenariat avec le Belvédère, ancien hôtel de luxe devenu un centre culturel et de résidence d’écriture, qui offre depuis son architecture en forme de bateau, une vue imprenable sur la mer. Nous prendrons finalement le large en embarquant avec Claire Flécher dans les navires de commerce, auxquels les transmigrants étudiés par Alain Tarrius n’ont pas accès. Les marins, chevilles ouvrières de la globalisation, sont en proie à une logistique extrêmement rationalisée qui affecte considérablement leurs conditions de travail. Indispensables à la circulation massive des marchandises, ces travailleurs restent confinés à bord de ces géants des mers, sans autre fenêtre sur le monde que la rencontre avec leur co-équipiers recrutés à l’échelle internationale. Alors voilà : vous êtes toujours les bienvenus à bord du Bistrot des Ethnologues : une fenêtre ouverte depuis 30 ans sur la diversité des mondes.

                                                                                                                                                                                                                                                            Gaëlla Loiseau

1 Propos tenus par le fondateur du Bistrot des Ethnologues Maurice Duval, lors du 32ème épisode de l’émission Ethno-vibro animée par Anaïs Vaillant sur radio Escapades (consultable en ligne : https://audioblog.arteradio.com/blog/153992/podcast/196665/32-rencontre-avec-maurice-duval-bistrot-des-ethnologues-et-soudiere)

PROGRAMMATION 2023-2024 30e SAISON

 

Sauf mention contraire les séances ont lieu à 20h
Entrée libre –

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2023-2024

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